Immersion au coeur d’un couvent : « C’est le Seigneur qui nous unit »

Par Camille Pineau et Adèle Semelier

Temps de lecture : 8 min

À l’abbaye Sainte Scholastique de Dourgne, trente-cinq Sœurs Bénedictines ont choisi de vivre cloîtrées pour célébrer « l’amour du Seigneur ». Retour sur leur quotidien. 

Abbaye Sainte Scholastique de Dourgne. Photo : C. Pineau &  A. Semelier 

Nichée au carrefour de la rue principale de la petite ville de Dourgne dans le Tarn, l’abbaye Sainte Scholastique en impose par sa grandeur. De style roman, ce monastère représente aujourd’hui plus de cinquante-cinq hectares. Sa construction, guidée par Sainte Scholastique, la sœur de Saint Benoît, a commencé le 10 décembre 1890. Le monastère a été habitable en 1893. Près de trente ans plus tard, une église, récemment rénovée, est venue agrandir l’abbaye pour permettre au trente-cinq sœurs actuelles d’exercer leur vie spirituelle.

Si aujourd’hui, la communauté bénédictine de Dourgne n’est représentée que par une trentaine de Sœurs, cela n’a pas toujours été le cas. Dans les années 1980, plusieurs religieuses encore présentes dans le monastère aujourd’hui, sont arrivées. Elles étaient près de cent-quinze Sœurs à vivre dans « le cloître ». Le net recul du religieux dans nos sociétés s’est fait ressentir à Dourgne. Année après année, le nombre de religieuses a reculé. Aujourd’hui, la moyenne d’âge est d’environ 75 ans.

Le chemin vers les voeux de profession

Devenir Sœur ne se fait pas du jour au lendemain. « C’est un long processus de neuf ans », explique Sœur Marie-Cécile. Contrairement à avant, maintenant, « on prend davantage de temps », continue-t-elle. Ce long chemin vers la consécration spirituelle se fait en quatre étapes qui s’étendent sur neuf années.  « Les stages », première étape de un an, où les Sœurs découvrent la vie en communauté, sont suivis du postulat pour celles « qui sentent qu’il faut tenter l’essai. » Les futures Sœurs sont vraiment intégrées à la communauté, mais logent au dortoir « du noviciat ». Pour cette troisième étape, les religieuses sont accompagnées par une « maîtresse des novices »,  Sœur Mercedes. « La mère abbesse m’a dit : c’est toi qui t’occuperas de la future sœur qui doit rentrer au noviciat, parce que tu passes bien avec les jeunes », explique Sœur Mercedes en riant avec un hochement d’épaules. « Le noviciat », dure deux ans, et est marqué par la prise de l’habit : une robe noire large et un voile blanc sur la tête. Le « vœu temporaire » est la dernière étape pour réfléchir à leur réelle volonté de rentrer dans les ordres.

Soeur Marie-Françoise dans la petite sacristie. Photo : C. Pineau & A. Semelier 

À la fin de ces années, la Sœur quitte son dortoir pour intégrer celui de la communauté. Ce long chemin vers « l’amour du Seigneur » se termine par l’expression des vœux de profession qui guideront la vie spirituelle de chaque religieuse. Sœur Isabelle-Marie fait part des siens : « Ne va pas, soudain, terrassée par une crainte subite, partir ; les débuts sont toujours difficiles, mais, en avançant, le cœur se dilate et c’est avec une indicible douceur d’amour que l’on court dans la voie des commandements. »

Soeur Isabelle-Marie

Portrait

Soeur Isabelle-Marie : « Je suis catholique et pourquoi je ne suis pas protestante, orthodoxe, bouddhiste ? »

Il est 9h30 à Dourgne et Sœur Isabelle-Marie est occupée à couper les légumes. Elle a laissé tomber sa robe noire et son voile blanc pour son tablier et son voile bleu. C’est avec émotion qu’elle raconte son parcours.

Depuis 40 ans, Sœur Isabelle-Marie vit au monastère. Dès ses onze ans, elle imaginait  « un lieu en pierre où on pourrait prier ». À l’adolescence, elle part faire ses études où elle navigue entre les sciences politiques, la sociologie ou encore la psychologie.           « J’étais malheureuse à ce moment-là, je me posais beaucoup de questions. »

C’est lors d’un stage religieux de huit jours que sa foi est revenue. « Le dimanche, à la fin du camp, j’ai été bouleversée par le témoignage du pasteur, et j’ai ressenti que je croyais de nouveau dans le Christ. » Sœur Isabelle-Marie est partie en Terre Sainte pour avoir des réponses à ses questions. Elle a alors « ressenti ce désir de se consacrer au Seigneur » dans la prière, ce qui l’a conduit à rejoindre l’école de la foi en Suisse.

C’est à la fin de cette école qu’une amie lui parle de l’abbaye de Dourgne. Faire une retraite de trois jours a été une évidence. Et « le troisième jour, j’ai reçu une parole très forte du Seigneur qui m’a fait comprendre qu’il me voulait ici. »

« Pour maman, c’était très dur, elle a toujours voulu deux filles et maintenant l’une est partie au ciel et l’autre a décidé de se consacrer à Dieu. » Sœur Isabelle-Marie est allée au bout de son idée. C’est à Pâques avant la Vigile pascale qu’elle est rentrée au monastère. « Et depuis quarante ans, je ne vois pas le temps passer. »

La vie communautaire

Choisir de vivre en monastère, c’est choisir de vivre en communauté. Si certaines avaient déjà eu des expériences de vie collective comme Sœur Marie-Cécile qui avait « habité en colocation avec deux filles. », d’autres ont cherché à l’expérimenter avant d’entrer au monastère. Sœur Isabelle-Marie était seule dans un appartement pendant ses études ; elle était indépendante. Alors dit-elle : « Je suis allée à l’école de la foi, ça n’a pas toujours été simple d’apprendre à vivre tous ensemble. » Aujourd’hui, cette vie en communauté est  « une grande force spirituelle » pour toutes les Sœurs.

Même si, « évidemment ce n’est jamais facile, on a toutes laissé beaucoup de choses derrière nous, et on est différentes les unes des autres, alors, parfois, il y a des tensions, mais on se régule. Et surtout on reste vivante, attachée à la prière », explique Sœur Isabelle-Marie.

La vie en communauté des trente-cinq Sœurs est rigoureusement organisée. Sœur Odile-Benoît est responsable de l’hôtellerie, Sœur Léonce et Sœur Marie-Sabine de l’accueil ou encore Sœur Nicole, la Sœur économe, de la gestion de la communauté religieuse et des relations avec l’extérieur. Une tâche n’est pas vécue comme une contrainte mais comme un service monastique. Dont Sœur Frédérique en décrit une partie, qui vont des plus essentielles au plus ludique :  « On est une société : il y a le magasin, la céramique, le moulage, les vêtements liturgiques, les biscuits, les tisanes, les chapelets et une petite édition de livres et de cartes. »

Sœur Frédérique dans le magasin du monastère de DourgnePhoto : C. Pineau & A. Semelier  

Comme dans toute vie en communauté il y a des indispensables. L’infirmerie, positionnée stratégiquement au centre de l’aile, en tribune sur l’église pour que les religieuses malades continuent de participer à la vie communautaire. Une Sœur et trois salariées de l’extérieur y travaillent.

Le confinement a été l’occasion pour les Sœurs Bénédictines de se lancer dans la permaculture à la demande de certaines d’entre elles. Depuis maintenant deux ans, elles entretiennent un potager dont les productions sont servies aux repas. Souvent débordées, il n’est pas rare pour les Sœurs de faire appel à des woofers pour les aider. C’est dire leur ancrage dans la modernité, – « et oui ici on utilise des Macintosh » lance Sœur Nicole -.

Quand les Beaux-Arts s’invitent au couvent

Sœur Mercedes, – ou « mon vieux tacot », comme l’appelle Sœur Frédérique -, est la Sœur artiste du couvent. Elle passe ses journées à réaliser des sculptures en céramique. Son atelier est un mélange de couleur et de vie spirituelle. Originaire de Saintes, diplômée des Beaux-Arts à vingt ans, elle a travaillé un an dans la publicité et a intégré un premier monastère à vingt-deux ans. « Moi, je voulais le Seigneur », dit-elle avec un grand sourire. Elle y développe son art de la céramique.

Aujourd’hui, cela fait vingt-deux ans que Soeur Mercedes vit cloîtrée au monastère de Dourgne. Après sa formation de trois ans, sans cultiver son art, la Soeur supérieure, Soeur Mireille, lui a fait construire son atelier de céramique. Tout de suite, Soeur Mercedes a récupéré son carnet d’adresses et depuis, elle ne s’est jamais arrêtée. Ses commandes s’étendent jusqu’à l’international et ses œuvres sont présentes un peu partout dans les églises de France, y compris celle de Dourgne. Pour ses consoeurs : « C’est une chance que son art se soit lié à sa croyance. » Elle imagine et crée tous ses modèles qui sont reproduits par l’atelier de moulage du monastère.

De cette plus-value artistique, le monastère en a fait une rente. Sœur Françoise, Sœur Marie-Sophie et Sœur Clotilde travaillent d’arrache-pied à reproduire les modèles de Sœur Mercedes avec du plâtre. Elles se sont auto-formées, une réussite, puisqu’en ces temps de Noël, les commandes s’enflamment.

Soeur Marie-Sophie, Soeur Clotilde et Soeur Françoise à l’atelier de moulagePhoto : C. Pineau & A. Semelier 

Vingt-quatre heures dans la peau d’une sœur

Les journées des Bénédictines de Dourgne sont rythmées par les six offices. Le premier, à 7h15 marque le début de leur journée, le dernier, a lieu à 20h30, il s’agit de la Vigiles. Entre ces différents temps de prières, les Sœurs réalisent leurs services monastiques. Des moments en matinée ou en après-midi sont réservés à la lecture de texte religieux. Tous les matins, à la demande de la mère abbesse, les trente-cinq Sœurs se réunissent au chapître. C’est le moment pour elles de discuter des problèmes importants. Deux fois par jour, elles prennent un repas dans le silence. Les Sœurs s’installent à leur place respective, se faisant face par des bancs disposés de part et d’autre du réfectoire, et sous l’œil attentif de la mère abbesse dont la table préside toutes les autres. Pendant le déroulé du repas, une Sœur lit un texte religieux, d’actualité ou d’enjeux géopolitiques. En fin de journée, elles se retrouvent toutes dans leur salle de récréation pour discuter des histoires de Jésus et ses drôles de dames.

Fin du repas dans le réfectoire. Photo : C. Pineau  & A. Semelier 

Voilà à quoi se résume le quotidien de ces trente-cinq Sœurs Bénédictines de Dourgne ! Pour la plupart d’entre elles, cela fait plus de vingt ans que leurs journées sont rythmées par cette dynamique. À quelques exceptions près bien sûr, comme pour les jours de fête, dont Noël ou la Saint-Benoît le 11 juillet. Mais toutes sont d’accord avec Sœur Mercedes, « au bout de tant d’années, je suis encore plus heureuse. »

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