«Je veux être un loup» : qui sont les furries toulousains ?

Par Lucas Planavergne et Nelly Metay

Temps de lecture : 8 min

La communauté furry rassemble des personnes fascinées par les animaux aux caractéristiques humaines. En Occitanie, plusieurs dizaines d’adeptes se retrouvent au sein du groupe Toulouse Furs, afin de vivre pleinement leur passion et leur identité animale.

Sofiane a toujours eu cet intérêt particulier pour les créatures ailées. À l’école primaire déjà, il était un « grand fan de Spyro », protagoniste de la célèbre franchise de jeux vidéo. Mais c’est bien plus tard que le jeune Toulousain, aujourd’hui âgé de 23 ans, a pleinement assumé son « identification à un dragon ». Et pris conscience qu’il était un furry.

Né aux États-Unis dans les années 1980, le fandom furry est un mouvement rassemblant des personnes fascinées par les animaux et créatures anthropomorphes, c’est-à-dire qui présentent des caractéristiques humaines comme parler, éprouver des sentiments ou encore porter des vêtements. Chaque furry possède un ou plusieurs fursonas, sortes de personnages totalement imaginés, qui peuvent s’inscrire dans des univers dédiés et même évoluer avec le temps. 

Si à l’origine le terme furry renvoie littéralement à des animaux poilus, de nombreuses sous-catégories existent, comme les scalies pour les créatures à écailles ou encore les avians pour celles qui volent. « Certains veulent des muscles, moi je veux être un loup », ironise Corentin, un jeune « canidé » de 17 ans connu sous le pseudonyme d’Atila da Wolf. Avant de confier, plus sérieusement : « C’est ce j’aimerais être. Ce que je suis tout au fond de moi. Mais je ne vais pas me mettre à aboyer pour autant ! »

Ces dernières années, outre-Atlantique, des rumeurs selon lesquelles des élèves demanderaient des litières pour faire leurs besoins à l’école se sont succédé. Reprises par plusieurs élus du Parti Républicain, ces fausses informations ont été plusieurs fois démenties par le service de fact-checking de l’agence de presse internationale Reuters. Il n’empêche que, dans certains cas, l’identification animale et le brouillage identitaire sont poussés plus loin, notamment avec un mouvement dérivé des furries, les otherkins.

« Ce sont des personnes qui ne se considèrent pas de l’espèce humaine mais d’une ‘autre lignée’, pour reprendre la traduction initiale de ce néologisme anglais. En fait, ils sont convaincus d’être leur fursona », explique Hugo, cofondateur du groupe Telegram Toulouse Furs, lui-même connu sous le pseudonyme de son fursona Netzlac, une hyène guitariste.

Une passion coûteuse

Dans un premier temps, pour donner vie à leur fursona, les furries utilisent des illustrations et autres artworks (créations artistiques) qu’ils peuvent réaliser eux-mêmes. Mais le plus souvent, ils les commandent selon leurs envies à des professionnels, pour quelques dizaines – voire centaines – d’euros. Dans le milieu, c’est ce que l’on appelle des « commissions ». 

L’étape supérieure, c’est la fursuit. Autrement dit, un costume à l’effigie du fursona, grâce auquel les furries peuvent incarner leur personnage dans des role play (jeux de rôle) lors des conventions spécialisées – comme le Toulouse Game Show, dont la dernière édition vient de se clôturer le 27 novembre. Tous ne ressentent toutefois pas l’envie d’avoir une fursuit. Et en raison de l’important coût financier que cela représente, nombreux sont ceux qui ne peuvent tout simplement pas s’en procurer une.

Sofiane, dans la peau de Cube. Photo : DR

« J’ai commencé à avoir plus d’argent en entrant dans la vie active. Alors j’ai d’abord acheté la tête de Cube, mon dragon, pour environ 2 000 euros. Puis le corps, pour près de 5 000 euros », explique Sofiane, qui avait déjà accumulé une cinquantaine de « commissions » auparavant. « C’est un prix élevé, mais c’est confectionné sur-mesure, avec des matières de haute qualité. Je n’ai pas de regret, car quand je l’ai eu, j’étais émerveillé ! »

Le costume May Feyu, le panda roux d’Audrey, lui a coûté autour des 2 800 euros. « Quand je le porte, je me sens bien. Parfois, je le brosse juste, ça me détend. C’est presque thérapeutique », décrit la jeune femme de 25 ans, jurant que même en vieillissant, « jamais elle ne se séparera » de sa fursuit

Une communauté «cocon»

C’est avec l’avènement d’Internet que le phénomène furry s’est développé et a pris une ampleur mondiale. « Ce fandom est très lié à la culture geek. Il doit fortement son existence aux forums de discussions et aux réseaux sociaux », explique Marianne Celka, sociologue et maître de conférence à l’université Paul-Valéry de Montpellier, ayant travaillé sur le sujet. Et de souligner : « Aujourd’hui encore, cela reste une communauté d’abord électronique, dans le sens où ses membres interagissent en premier lieu sur les réseaux sociaux, avant de se rencontrer en vrai. » Pour ce faire, ils sont d’ailleurs très organisés, au point qu’il existe des réseaux sociaux façon Tinder, conçus pour permettre aux furries de se rencontrer et pourquoi pas de trouver l’amour.

Sur la dizaine de personnes se revendiquant comme furry interrogées, la majorité a découvert le fandom en ligne, que ce soit à travers des jeux vidéo ou des plateformes comme Discord. Fait intéressant, mais pourtant pas étonnant : la plupart d’entre eux étudient ou travaillent aujourd’hui dans le domaine de l’informatique. « Si l’on supprimait la communauté furry, Internet arrêterait de fonctionner », plaisante l’un des administrateurs de Toulouse Furs,Théo – plus connu sous le nom de son fursona loup Zorbas -, reprenant une blague répandue dans l’industrie informatique américaine.

Furfling, un réseau social dédié aux furries. Capture d’écran : Furfling.com

Que ce soit virtuel ou non, ce fandom sert en tout cas de « refuge » pour des personnes souvent perçues comme « bizarres » dès l’enfance par leurs proches ou d’autres enfants. Au sein de la communauté, les personnes non-furries sont d’ailleurs surnommées les normies. « Je subissais du harcèlement au collège… Donc pour moi, c’est apparu comme un cocon dans lequel je peux me réfugier », confie Audrey. « J’ai grandi dans une famille très pieuse, pas très ouverte d’esprit, donc quand je vivais encore chez mes parents, je devais cacher cette partie de moi », se souvient, quant à lui, Sofiane.

Pour Marianne Celka, il est évident que, dès le plus jeune âge, « des rapports de domination plus ou moins douce » se créent, « celui qui ne répond pas aux codes » étant souvent « stigmatisé ». Chez les furries, il y a cependant une sorte « d’inversion du stigmate, qui au lieu d’être excluant, devient un totem autour duquel la communauté se réunit », souligne l’universitaire.

Aide à l’acceptation de soi 

Le mouvement furry se féminise depuis le début des années 2000, mais il reste encore principalement composé d’hommes. « On est très majoritaire », reconnaît Hugo, ajoutant que la plupart sont « a minima bisexuel, voire gay ». Alexia, 21 ans, a de son côté accepté « son identité furry en même temps que son asexualité et sa non-binarité », car la communauté aide à « assumer qui l’on est ». Alix, furry âgée de 28 ans, a, quant à elle, démarré sa transition vers le « genre féminin », tout comme son fursona. 

« C’est inscrit dans l’ADN du fandom. Le brouillage des catégories humain-animal implique une renégociation des codes en général et remet donc aussi en cause les catégories binaires comme le masculin et le féminin », développe Marianne Celka, évoquant les travaux de Furscience, un collectif de scientifiques nord-américains menant des enquêtes sociologiques sur les furries, dans lesquelles les « questions de genre ressortent effectivement ».

Pebloop, le fursona d’Alexia. Illustration : DR

La question de la sexualisation est également primordiale au sein du mouvement furry. C’est d’ailleurs l’un des versants du fandom qui a particulièrement attiré Alix. « C’est très ouvert d’esprit. Sexualiser les fursonas n’est absolument pas tabou, au contraire, c’est connu, reconnu et accepté ! Il ne vaut mieux pas savoir ce qu’il se passe dans les chambres d’hôtels en convention… », glisse la jeune femme, active dans la « commu » depuis une dizaine d’années. Pour les adeptes de « BDSM » (bondage, discipline, domination, soumission, sado-masochisme) lié au fandom, il existe même des mursuits, l’équivalent des fursuits, mais destinées à une pratique sexuelle.

Sur les moteurs de recherche et réseaux sociaux aussi, les illustrations érotiques et les sites pornographiques spécifiques pour les furries ne manquent pas. De nombreux membres de la communauté citent la « Règle 34 », l’une des « lois d’internet » selon laquelle « tout ce qui existe possède un équivalent pornographique ». Selon Marianne Celka, cette dimension fait pleinement partie du « caractère subversif du fandom » et est apparue dès son origine. « Il y a dans la revendication du furry quelque chose de fondamentalement érotique par rapport à une modernité qui est perçue comme lisse et presque trop humaine », relève la spécialiste.

« Il existe beaucoup de membres qui ne sont pas du tout intéressés par les contenus ou pratiques sexuels et qui ne veulent que du ‘Safe for work’ (contenus non choquants, N.D.L.R.) », nuance cependant Zorbas, en précisant d’ailleurs que dans le groupe Toulouse Furs, les messages érotiques et pornographiques sont proscrits, car des mineurs sont dans la boucle.

Une influence sur la société ?

Si le mouvement furry reste marginal, dans le sens où ses adeptes sont peu nombreux et regroupés entre eux, cela ne l’empêche pas de se développer dans toutes les sphères et de se banaliser avec le temps. « On est partout », blague Alexia, mentionnant des « popu furs » (furry populaire dans la communauté) comme Chise, l’une des scientifiques ayant contribué à l’invention du vaccin Moderna, ou encore Astronaut Meeps, le premier furry à être allé dans l’espace. L’esthétique du fandom a également un impact sur la société, notamment dans les arts visuels ou encore dans la publicité, à l’image du spot télévisé intitulé « Naturellement pulpeuse » d’Orangina. 

« À l’origine, la culture furry a un côté punk dans l’idée du ‘faire soi-même’, qui devient d’ailleurs ‘faisons ensemble’. Mais le capitalisme a en quelque sorte récupéré ce mouvement, qui se professionnalise et devient un business », estime Marianne Celka. Avant de se projeter : « L’esthétique furry a déjà envahi le monde ordinaire et notamment le milieu de la mode. Verra-t-on à l’avenir des fursuits dans la rue ? À Montpellier, j’ai déjà vu une jeune femme se balader avec une queue. C’est peut être vers cela que l’on se dirige, qui sait ! »

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