« Le naturisme, c’est une philosophie de vie »

Par Adèle Semelier et Camille Pineau

Temps de lecture : 5 min

Tous les ans, plus de deux millions de Français se laissent tenter par le naturisme, ou l’art de vivre nu. Pour Bande à part, nous sommes allées à la rencontre de naturistes marseillais afin de mieux cerner cette manière de vivre. Reportage.

Le dimanche 20 novembre a certainement marqué la dernière sortie plage de l’année pour les adhérents de « L’Association des naturistes phocéens ». En début d’après-midi, c’est sous un soleil de plomb, accompagné d’une légère brise fraîche, que s’est retrouvée une petite dizaine de naturistes accomplis. Le rendez-vous a été donné dans une crique assez intimiste du Parc national des Calanques. Un lieu assez reculé et pourtant relativement peu caché, que seul un petit nombre de personnes habituées peut connaître. Pour pouvoir s’installer, sur ces rochers qui offrent une vue imprenable sur le Cap Canaille et du port de Cassis, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faut le mériter. L’accès ne se fait qu’au prix d’un peu d’escalade où la dextérité et la prudence sont de mise. Ce n’est qu’après toutes ces étapes que Bruno Saurez, président de l’association, a pu rejoindre les autres membres : Isabelle, Michel, Lydie, ou encore Thierry… À peine arrivé, Bruno, un sourire accroché aux lèvres, se dévêt et adopte la même nudité que ses amis.

Au programme, rien de particulier si ce n’est un repas partagé entre eux, accompagné d’une bouteille de rosé. Thierry, secrétaire de l’Association, pour qui « le froid, c’est dans la tête », a, quant à lui, pu profiter d’une bonne heure de baignade dans une eau à 17 degrés, ce qu’il fait quasiment tous les jours, qu’importe la saison.

 

Isabelle, Michel, Thierry et Bruno dans les Calanques. Photo : A. Semelier et C. Pineau

Un naturisme aux multiples facettes

Si au premier abord on peut penser que le naturisme ne se pratique qu’ en extérieur, sur les plages et par beau temps, ce n’est, en réalité, pas le cas. L’Association des naturistes phocéens dirigée par Bruno, propose tout un tas d’activités, été comme hiver, en intérieur ou en extérieur : « On organise des séjours raquettes, des hammams, des bowlings nus et également des randonnues. La dernière date de début novembre, c’était « la muraille de
Chine », un massif près de Marseille. « On en fait environ deux ou trois par mois au minimum. Ça nous arrive aussi de faire des réveillons nus. À côté de ça, on fait des séjours à l’étranger à Lanzarote, Majorque ou encore en Autriche » explique le président. Plus inédit encore, les adhérents peuvent aussi participer à des journées de spéléologie nus.

En fin de compte, pratiquement toutes les activités possibles habillées le sont également sans vêtements. Pratiquement, car bien souvent les naturistes font face à des réticences ou encore des jugements : « S’occuper d’une association naturiste, c’est parfois plus de travail que dans d’autres associations. En ce qui concerne les démarches pour avoir une salle de yoga par exemple, il faut envoyer plus de mails parce que les gens ne répondent pas, ils ont souvent des préjugés. Parfois, il faut argumenter, parfois, il faut même les rencontrer. Des obstacles que les autres n’ont pas », ajoute Bruno. 

Comme dans d’autres associations, le naturisme rassemble les gens au niveau national et international. « On fait des interclubs; on se retrouve dans un centre naturiste et quelques associations se regroupent sur plusieurs jours pour faire différentes activités », continue-t-il.

Bruno, président de l’Association des naturistes phocéens. Photo : A. Semelier et C. Pineau

Comment devient-on naturiste ?

La pratique du naturisme, qui ne regroupe pas moins de deux millions de Français chaque année, est un vrai terrain de mixité sociale. Pour Isabelle, secrétaire dans la vie de tous les jours et adhérente depuis 2012, c’est d’ailleurs un moyen de « rencontrer des gens qu’on ne rencontrerait pas autrement. » Le naturisme regroupe, au-delà des classes sociales et des professions. Des personnes différentes donc, aux parcours naturistes également singuliers. Isabelle, elle, l’a découvert en 2012 : « J’ai des amis à Montpellier qui font partie d’un club. Un jour, ils sont venus à la maison et m’ont emmenée en randonnue. J’ai beaucoup aimé et depuis, je n’ai jamais arrêté. J’ai d’ailleurs choisi un appartement qui me permet de faire du naturisme chez moi. »

Bruno, quant à lui, est tombé amoureux de ce mode de vie en 2002 après un avoir fait de la plongée nu en Corse. Une sensation dont il se rappelle encore aujourd’hui. « J’étais immergé dans la nature, l’eau en contact avec toutes les parties de mon corps ; c’est fou comment un maillot peut faire autant de différence. » Les premières approches du naturisme ne sont pas toujours aussi positives que celles de Bruno. Henri, mari de Lydie, adhérente de longue date, n’était au départ pas très enthousiaste. Il est avant tout tombé sous le charme de l’ambiance au sein de la communauté, plutôt que de la nudité elle-même.

« Je suis bien plus complexée en maillot de bain que nue »

Pour beaucoup d’entre eux, le naturisme est également synonyme de valeurs. La solidarité, la bienveillance ainsi que l’acceptation de soi et des autres, y sont palpables. « Il y a une facilité de contact, les gens sont plus ouverts et il n’y a pas de jugement naturiste. Je suis bien plus complexée en maillot de bain que nue. » explique Isabelle. « Dans l’asso, il y a des femmes assez fortes qui n’osaient plus aller à la plage et, avec nous, elles y sont retournées », poursuit-elle.

Un regard posé sur les corps qui semble, à première vue, ignorer la nudité complète qui s’affiche devant eux. Un regard simple et dénué de jugement qui permet à beaucoup de se sentir rapidement à l’aise. « Un jour, il y avait une femme qui n’avait qu’un sein. Je ne m’en suis rendu compte que trois ou quatre heures après. On s’arrête sur des petits détails mais pas sur le physique. En fait, le naturisme ça décomplexe; ça ne soigne pas tes complexes mais ça nourrit ton estime de soi », raconte l’adhérente.

Si la bienveillance est de mise au sein même de la communauté, bien souvent les personnes non naturistes font preuve de méfiance et parfois même de défiance. Si certains comme Bruno évoquent aisément leur pratique, ce n’est pas le cas de tous. Isabelle par exemple raconte : « Tous mes collègues ne le savent pas parce qu’on peut souvent faire face à des remarques désobligeantes comme : ‘ Ça va finir en partouze ‘. Parfois, ça me gonfle d’expliquer. Il ne faut pas confondre nudité et sexualité. » Des remarques qui peuvent aller encore plus loin en comparant naturisme et pédophilie. 

Malgré cela, cette pratique semble prendre de l’ampleur en France, en témoignent les 259 adhérents de l’Association des naturistes phocéens ou encore le nombre d’événements nus mis en avant. Une tendance confirmée par l’arrivée en 2024 au MUCEM d’une grande exposition sur le naturisme.

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