Les squats toulousains : clandestins et révoltés

Par Malo Toquet

Temps de lecture : 8 min

Illustration : Tess Benedetti

Source de fantasme, de crainte ou de mépris, les squatteurs restent avant tout des inconnus. Une culture urbaine qui se cache mais qui existe bel et bien. Une culture avec ses codes esthétiques, ses valeurs et ses lois.

Dans une petite salle, une vingtaine de personnes se serrent dans des canapés usés et un bric à brac de chaises dépareillées. Autour de la table ils sont tous différents et se ressemblent pourtant un peu avec leurs fringues noires, leur coupe faite maison, rasée sur les côtés et leurs piercings. Ils ont entre 20 et 35 ans mais il serait difficile de donner un âge aux plus vieux. Les regards se croisent, se perdent dans la contemplation du chien qui réclame des caresses, tentent de s’accrocher au fil de cette réunion qui n’en finit pas. L’info est tombée une semaine plus tôt, l’huissier de justice fera expulser le Pum’bat le lundi 10 octobre.

Le Pum’bat, c’est un lieu mythique du milieu underground toulousain. Un immense squat ouvert fin 2019 à deux pas du centre-ville, du côté du quartier Héraclès. Le quartier est à la fois industriel et résidentiel. Hangars de stockage, garage, barres d’appartements et belles maisons se dressent les uns à côté des autres. Peu d’indices laissent deviner que les hangars du Pum’bat sont squattés. Entre deux entrées pour camion, une étroite porte grise en acier s’ouvre quand on tambourine dessus. Une porte vers un monde différent.

Le Pum’bat, un squat politique

« Le monde des squats est complexe et diversifié. Unifié par une communauté de statut juridique (des occupations sans titre d’un logement vacant), il est profondément divers sur le plan social et culturel » écrit l’anthropologue Florence Bouillon dans Les mondes du squat. Selon Jo, dont le témoignage est à écouter sur Bande sonore,  les squatteurs espagnol utilisent les mots “centres sociaux » et « habitations » ou « foyers ». Un lexique identique en Allemagne et au Pays-Bas. En France, on parle de squats politiques et de squats d’habitation.

Les squats d’habitation ont pour fonction principale de loger des personnes précaires : jeunes, sdf, sans-papiers, mineurs isolés. « Toulouse compte de nombreux logements inoccupés et des centaines de mal-logés. La solution logique est d’utiliser les uns pour loger les autres », explique Julien, un jeune activiste allemand récemment arrivé à Toulouse.

Les squats politiques en revanche sont pensés dans une optique collective et ouverte sur l’extérieur. Il s’agit de lieux d’expérimentation artistique, ou de mobilisation politique. C’est de ce genre de projet que se revendique le Pum’bat. Les animateur.ices du Pum’bat listent les nombreuses activités. Un lieu où « on pourra sûrement kiffer un mauvais groupe de punk, boire un verre avec les potes et mater des films courts en mangeant des frites. On pourra venir chiner à la ressourcerie, pratiquer des activités sportives et lire une brochure afroféministe. On peut y organiser une soirée de soutien aux prisonnier.es, faire une cantine basée sur un développement du rab’ et se creuser la cervelle à plusieurs sur ce qu’on fait de la justice ». Ce qui définit avant tout le Pum’bat c’est d’être un lieu « POLITIQUE où organiser et soutenir des luttes populaires, s’entraider dans la galère et créer des outils d’autodéfense collective ».

Souvent un squat d’habitation est aussi politique et inversement. En revanche, seuls les squats politiques entretiennent des contacts denses entre eux. Ces relations régulières entre les habitant.es et animateur.ices des squats politiques conduisent in fine à la constitution d’une culture commune. Une bande à part.

 

Le CASA

Habitation et QG de luttes autogestionnaires. Il est le lieu de permanences pour l’accompagnement de squatteur.euses en procédure d’expulsion

La Chapelle

Réputé pour être un des plus vieux squat de France, il est, comme son nom l’indique, installé dans une ancienne chapelle. Il bénéficie depuis peu d’un bail emphytéotique de 40 ans.

Le Placard brûle

Lieu d’habitation de réflexions et d’échanges en mixité totale ou choisie. Ses animateur.ices traitent de nombreuses questions qui traversent les mouvements militants.

Un lieu d’échange d’idées, de culture politique

et universitaire

La mouvance squat est d’abord caractérisée par de nombreux échanges d’idées. La plupart des squats toulousains proposent des programmes de discussion sur des thèmes divers où se rencontrent et se croisent habitant.es, militant.es et sympathisant.es. En plus du Pum’bat, on compte, entre autres, à Toulouse, le Placard brûle à la Roseraie, La Chapelle à Compans Cafarelli et le Centre d’Autodéfense Sanitaire et Alimentaire (CASA) à  Arnaud Bernard.

Tous ces lieux partagent, avec des nuances, une culture politique libertaire. Le Pum’bat se considère comme « anarchiste avec des zestes de punk »; le Placard brûle se dit « antiraciste, féministe et antiautoritaire » et le CASA défend la culture de l’autogestion. Selon, Malkuta, militante rennaise  « C’est vraiment un consensus dans le mouvement squat de partir avec des bases anarchistes. Je pense que c’est l’illégalité qui fait ça. Le rejet en acte de l’autorité sociale ». La chercheuse Florence Bouillon abonde en ce sens. Selon elle « Le squat incarne le refus de la propriété privée. Il relève d’un mode d’organisation qui se veut horizontal et autonome. C’est l’assemblée et la décision collégiale qui, non seulement, guident la vie quotidienne en interne, mais qui apparaissent aussi comme une mise en application directe des revendications formulées. »

Aux valeurs politiques communes s’ajoute une très relative homogénéité sociale. L’essentiel du milieu squat toulousain est composé de personnes entre 18 et 35 ans.  Une partie conséquente des squatteurs semblent avoir suivi un parcours universitaire. Pas d’amour pour l’université pour autant. La fac est décrite comme un outil de l’Etat au service des inégalités. Ainsi, Léo affirme que « la coopération avec des projets de recherche ou des articles sur les squats n’est pas dans l’intérêt des squatteurs. On ne gagne rien à donner des infos à une institution qui nous est hostile. »

Reste que la plupart des squatteurs sont à l’aise avec les concepts sociologiques. On peut lire sur les murs du Pum’bat un « manuel de l’enquête critique » en huit étapes, patiemment graphées, entre deux slogans.

Ce mélange de défiance et de maîtrise de la culture scolaire conduit à la constitution de réseaux de communication propres.

Le mouvement squat produit beaucoup de documentation pour accompagner les projets d’ouverture de maisons et les procédures d’expulsions. Photo : Malo Toquet

Des modes de communication autonome

Une partie des échanges entre les squats politiques se fait au sein des réunions ouvertes, des mouvements politiques plus larges et des fêtes. Le 23 novembre, un cinéclub public au Placard brûle réunissait différents acteurs réguliers du mouvement squat. Le sujet, un film documentaire sur la défense d’un immense squat hollandais, dérive sur un partage d’expérience et de souvenirs ainsi que des débats sur certains passages du films. Dans l’assemblée, deux camarades allemandes, trois espagnol.es, une anglaise et au milieu, une brochurotèk (bibliothèque de brochures) en plusieurs langues. Les squatteurs voyagent, leurs idées aussi.

Au niveau local aussi, les communications vont bon train. Les squats politiques utilisent fréquemment le forum Infos Anti-Autoritaire Toulouse et Alentours (IAATA), l’agenda partagé Démosphère ou encore le Tacle est une messagerie cryptée où circule les SOS d’expulsions imminentes. La volonté de se créer des outils de communications spécifiques dénote d’une volonté de rupture avec la société capitaliste. Cette volonté se cristallise dans une recherche philosophique et esthétique radicale.

Le mouvement squat est très marqué par l’esthétique punk et les idées anarchistes.      Illustration : Creative Commons

Une culture punk, affinitaire et clandestine

Le mouvement squat oscille entre la déconstruction des stéréotypes sur les squatteurs et la construction d’une culture particulière. Ainsi, une habitante du Placard brûle regrette de voir  « circuler des préjugés sur les squats comme des lieux où des punk à chien comatent leur défonce sur des canapés crasseux ». Pour autant, certains revendiquent le squat comme dernier refuge des inadaptés sociaux. Ainsi Malku, squatteur rennais dénonce la « chasse aux shlags » qu’a connu Notre-Dames-des-Landes. Selon lui, certains acteurs cacheraient leur mépris de classe contre les « Cassos » derrière une revendication progressiste : « maintenant à la ZAD, il faut être poli et productif. Si t’es pas assez bien pour eux, ils s’arrangent pour que tu te barres ». A l’inverse, dans les squats, les jugements moraux seraient moins forts, « on se fait pas virer parce qu’on est alcoolique ou inapte au travail ».

De nombreux militants affirment l’influence de la culture punk. Dans la programmation des concerts, dans les codes vestimentaires mais aussi dans la philosophie véhiculée. Le rejet des institutions est total, en particulier la police, l’armée, le gouvernement et les médias mais ce rejet s’étend à à peu près toute expression de l’Etat ou de la société marchande.

Le mouvement se méfie du formalisme en général. Il est assez sceptique vis-à-vis des cadres d’organisation pérennes ou du principe de vote à la majorité. Les décisions se prennent le plus souvent au consensus et les groupes de décision se forment par affinité.

Le caractère illégal et explicitement hostile à l’État des squats politiques conduit à un apprentissage de la clandestinité qui peut par moment friser la paranoïa. Ce phénomène est assez compréhensible quand on pense aux peines encourues par les squatteurs et à la pratique courante de l’infiltration des lieux de subversion par les Renseignements Généraux. Il reste que les squats n’ont pas pour habitude de communiquer publiquement leur adresse, même quand ils sont organisateurs d’évènements publics. De même, les photographies, vidéos ou enregistrements audios sont source de méfiance et les téléphones sont déconseillés en réunion ou sur les lieux expulsables. Lors de la diffusion du documentaire au Placard brûle, une des squatteuses espagnoles se dit surprise du soutien des Hollandais pendant le siège. « Je suis tellement habituée à l’hostilité, ça me fait bizarre de penser que certaines personnes ne nous haïssent pas ». Un sentiment de citadelle assiégée que les squats tentent de combattre par des contacts au sein de leurs quartiers, des projets collectifs et autres repas partagés.

Illustration : Tess Benedetti

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