Comment définir une «Bande à Part» ?

Par Lucas Planavergne

Temps de lecture : 2 min

Réaliser un webdocumentaire sur des groupes de personnes à l’écart de la société, c’est se heurter à quelques écueils sémantiques. Qu’est-ce que la « marginalité » ? Est-ce l’inverse de la « norme » ?
Tentative d’explications.

« Non, en vrai, ça ne rentre pas dans le sujet… » Voilà ce que nous nous sommes beaucoup répété durant la réalisation de Bande à Part. Car pour faire un webdocumentaire visant à donner la parole à des communautés « en marge » de la société, toutes très différentes les unes des autres, encore faut-il s’interroger, au préalable, sur le sens des mots.

Selon Jacques Fischer-Lokou, professeur en psychologie sociale à l’université Bretagne-Sud et organisateur d’un ouvrage collectif sur la marginalité, cette notion renvoie à « ce qui est en dehors de la norme, que ce soit d’un point de vue numérique », c’est-à-dire qui est minoritaire face à une majorité, mais aussi « d’un point de vue symbolique », autrement dit ce qui est différent des standards « valorisés » dans la société.

« C’est le rapport entre la société hégémonique, à laquelle nous participons tous, et les micros-sociétés qui se créent à côté », explique, quant à elle, Marianne Celka, sociologue à l’université Paul-Valéry de Montpellier. Et de détailler : « Ces communautés alternatives ont parfois la volonté d’être contre-culturelles, mais ce n’est pas toujours cas. Il s’agit principalement de créer un microcosme, qui sert de coquille et offre une identification aux membres, car la société ordinaire ne les satisfait pas. »

Subie ou choisie ?

Une autre interrogation s’est alors rapidement présentée : la « marge » est-elle un choix, ou une contrainte ? « Il est évident que, dès l’adolescence, des rapports de domination, plus ou moins douce, se produisent par des effets de stigmatisation. À l’école déjà, l’enfant qui est différent des autres est mis à l’écart », commente Marianne Celka, soulignant néanmoins que les personnes « en marge » sont par nature « subversives », en d’autres termes, qui renversent l’ordre établi.

Pour Jacques Fischer-Lokou, certains individus ou groupes choisissent au contraire de « s’auto-marginaliser », car ils peuvent y trouver des « bénéfices ». C’est en majorité ce genre de profils que nous avons rencontrés dans la réalisation de notre webdocumentaire. La plupart ont confié leur volonté de vivre, plus ou moins, à l’écart. À chaque fois pour des raisons spécifiques et personnelles.

Les hooligans, par exemple, se sont volontairement détachés des groupes de supporters traditionnels, pour rassasier leur « soif de violence ». Les adeptes d’anthroposophie, eux, ont fait le choix de mettre leurs enfants dans une école Steiner, pour leur donner une éducation « alternative » et davantage « spirituelle ». Les Sœurs Bénédictines, quant à elles, ont mûrement réfléchi leur décision de se retirer dans un couvent, pour vivre en accord avec « leurs croyances ».

Quel impact ?

Mais alors, les personnes qui font « bande à part » sont-elles forcément des « dominées » dans la société traditionnelle ? « Dans certains cas, notamment pour les classes sociales aisées, il arrive que des personnes minoritaires parviennent à imposer leur modèle, parce qu’elles en ont les moyens », remarque Jacques Fischer Lokou. Peut-on alors parler de « marge d’en haut », en observant le sujet à travers un prisme économique ? C’est une question que nous avons abordée, en nous intéressant à « l’entre-soi » des classes supérieures toulousaines.

Si elles sont par définition minoritaires, les « marges » ont tout de même un impact, à divers degrés, sur le reste de la société. À l’image de l’esthétique « drag », qui a fortement influencé le domaine de la mode. Ou encore de la culture du « graffiti », banalisée avec le temps dans les milieux urbains et artistiques.

Rien d’étonnant, d’après Jacques Fischer-Lokou. « Prenons l’exemple des piercings. Il y a une trentaine d’années, en porter était perçu comme marginal. Aujourd’hui, cela a changé. C’est la notion d’esprit du temps », constate le psychologue. Avant d’assurer : « Ce sont les marges qui provoquent l’évolution des normes ! »

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